La version non finalisée du rapport du "groupe central", révélée par le Soir (et disponible ici dans l'onglet "fichiers") ne constitue pas encore, loin s'en faut, la décision finale qui sera prise par le Gouvernement et le Parlement. Mais elle donne néanmoins une idée de l'orientation qque prend ce processus.Il est donc intéressant de lire ce document et d'en débattre. Ce débat peut porter sur deux choses :
- le fond : en nous référant au Manifeste, que peeut-on dire de ce texte ? Quels sont les points encourageants, ceux qui manquent, ceux qui restent conformes à "l'horizon sans lendemain", etc.
- la stratégie de Tout Autre Ecole : qu'on le veuille ou non, nous serons interpellé-e-s (par les médias notamment, mais pas seulement) sur les ressemblances et différences entre notre Manifeste et ce document (et ceux à venir). Que devons-nous dire ? Quel angle privilégier ?
Démarré par
Bernard Delvaux
dans Groupe tout autre école
29 avril 2016 09:14
Pour ma part, après y avoir un peu réfléchi, et avoir eu la chance de pouvoir tomber sur un article de Métro consacré à ce document, je peux faire le constat suivant :
1) Tout d'abord, ce document est trop long, trop pour que je puisse le lire attentivement vu que j'ai d'autres priorités d'autant plus que s'impliquer TAC est vite chronophage! Je suis d'ailleurs le premier à répondre ici, alors que j'ai déjà laissé passer du temps avant de le faire...
2) Ensuite, ce document, s'il est fort accessible dans sa forme, fait notamment appel à des données qui pour pouvoir se prononcer desssus, imposent de maîtriser certaines questions institutionnelles relatives à l'enseignement en Belgique francophone, à la différence de notre manifeste. L'article de Métro dessus, que j'ai par contre lu intégralement parce qu'il était beaucoup plus court, parle d'un événement rassemblant experts et citoyens qui a donné naissance à ce pacte, et non pas d'un événement où les experts étaient au service des citoyens (comme le G1000)
3) Par contre, à en croire l'article de Métro, il rejoint le manifeste sur nombre de questions. Mais pas toutes. Ou du moins il aborde des questions que le manifeste n'aborde pas comme la journée scolaire qui serait au mieux décalée et au pire rallongée, ou la scolarité obligatoire dès 3 ans (alors que seule l'instruction est obligatoire en Belgique).
Je pense donc qu'en la circonstance, pour éviter de tomber dans l'une ou l'autre forme d'expertocratie au sein de notre groupe, la seule chose que TAE peut faire - si nous l'estimons souhaitable - est de dire que nous prenons bonne note de certains points dans ce pacte qui rejoignent nos préoccupations, tout en ne nous prononçant pas sur le document dans son ensemble - ce qui n'empêche pas que certains d'entre nous d'aller plus loin à titre individuel.
Une première manière (et peut-être la plus pertinente en tant que Tout Autre Ecole) est d’analyser ce rapport intermédiaire du Pacte à partir du Manifeste.
Quand on adopte cette mise en perspective, une première différence saute aux yeux, en plus du volume de pages (plus de 100 côté Pacte contre une trentaine, plus aérées, côté Manifeste) : le Manifeste se focalise sur les finalités et les grands principes alors que le Pacte (appelons-le ainsi même s’il ne s’agit pas encore du Pacte) se focalise sur les structures et les dispositifs. De notre côté, nous avons dès le départ assumé cette position, parce qu’il nous paraissait d’abord indispensable de débroussailler la question des objectifs et des horizons, en nous contentant d’esquisser les contours de l’école du futur. Au contraire, dans le processus du Pacte, ces questions fondamentales des finalités ont été laissées de côté dès le départ. Le rapport « Sens, valeurs, objectifs et missions de l’école du XXIe siècle », produit durant la première phase, était un collage de finalités variées perdues (déjà) dans un grand nombre de propositions concrètes. Il n’assumait pas l’explicitation d’horizons différents entre lesquels il faut choisir. Le danger d’une telle option privilégiant les dispositifs pratiques, c’est de focaliser les débats futurs sur des questions de détail. On sait en outre que les dispositifs peuvent faire l’objet de réinterprétations multiples si un travail culturel de fond sur les valeurs fondant l’éducation n’ont pas fait l’objet de discussions et d’appropriations. Certes, il est encore possible qu’un fil conducteur soit explicité, mais il paraît peu probable qu’un tel fil, s’il est produit en fin de processus, soit davantage qu’un emballage « pour faire vendre » et soit réellement consistant, vu que de vrais désaccords existent à propos des finalités et n’auront pas été mûris et traités.
A noter aussi que le Manifeste a pour sujet un « nous » qui veut se mobiliser, alors que le Pacte a actuellement pour sujet le « Groupe Central » qui attend des autres acteurs qu’ils mettent en œuvre ses propositions.
Dans les lignes qui suivent, le reprends successivement les chapitres du Manifeste et m’interroge sur l’écho qu’on y trouve dans le Pacte.
NOUS UNIR
Le premier chapitre du Manifeste annonce l’union de trois courants : lutte contre les inégalités, lutte contre le formatage scolaire et semailles de graines d’une tout autre société.
En faisant insuffisamment écho aux deux derniers courants de contestation de l’école actuelle, le Pacte prend le risque de :
Je pense donc que le Pacte se situe dans le scénario que, dans mon essai, j’ai intitulé l’acharnement thérapeutique, qui consiste à chercher à concilier le maintien d’une institution scolaire unifiée et d’un mode d’éducation vieilli (la « forme scolaire »). Une option qui, de mon point de vue, n’est pas porteuse d’avenir, ainsi que le souligne le terme par lequel je désigne cette option.
NOUS DÉTOURNER D’UN HORIZON SANS LENDEMAIN
Du contenu de ce chapitre du Manifeste, il n’y a nulle trace dans le texte intermédiaire du Pacte. Il est évidemment plus difficile de mettre d’accord sur de telles finalités toutes les composantes d’une société (représentées dans le processus du Pacte) plutôt qu’un segment de la société (celui d’une Tout Autre École).
Mais cela montre bien que le Pacte s’inscrit dans une double logique d’adaptation plutôt que de rupture :
TENDRE VERS UN HORRIZON DÉSIRABLE
C’est dans ce chapitre que nous tentons de décrire l’être humain que nous voudrions « « faire grandir dans une tout autre école ». Comme déjà expliqué, il n’y a pas de chapitre similaire dans la version actuelle du Pacte. Des allusions à l’être humain « idéal » sont disséminées (et assez bien cachées). Je tente donc d’évaluer dans quelle mesure les cinq traits que nous avons mis en évidence sont présents ou absents des premières recommandations que le « Groupe Central » du Pacte adresse au gouvernement.
Le document du Pacte reste encore fort cadré par les quatre missions décrites dans le décret du même nom, missions dont nous avions indiqué, dans une version initiale du Manifeste, les différences avec l’horizon vers lequel nous voulons tendre.
(... je continuerai ultérieurement l'analyse des chapitres suivants).
J’ai lu le rapport du groupe central grâce au lien sur le site TAE et je trouve que cela vaut la peine de l’analyser et de le critiquer. Je trouve intéressante la proposition de Bernard d’adopter la perspective du manifeste et de comparer, ce que je n’ai pas fait lorsque j’ai pris connaissance du texte. Donc, je vous livre ici à chaud quelques réactions et commentaires.
Pour aller vite je dirais que ce rapport, très technique qui ne s’intéresse pas ou peu aux finalités, vise à enclencher deux processus : un processus de transformation de la gouvernance et un processus de décloisonnement du système de réseaux. Il me semble que c’est là que les mesures de transformation structurelle proposées sont le plus concrètes. Je ne dis pas que tout le reste est du blabla mais les bonnes intentions affichées ne sont soutenues d’aucune proposition convaincante de mesures (par exemple rallonger le tronc commun en supprimant le redoublement mais ne rien imaginer d’efficace pour amener tous les élèves à niveau).
Ce qui m’a frappé, c’est l’importance numérique des pages consacrées au chapitre «gouvernance, enseignants et directions» (30 pages) par comparaison avec le chapitre inégalités (6 pages). Visiblement, l’attention est mise sur les moyens de transformer le système de gouvernance (il faudrait réfléchir à ce que signifient et impliquent les notions de contractualisation et de leadership distribué). La rhétorique est alléchante : autonomie, participation, organisation apprenante, etc. mais on voit pointer des tendances moins séduisantes: à la professionnalisation (le mot est employé et renvoie entre autres à l’acquisition de compétences genre gestion avec indicateurs etc.) et à une nouvelle hiérarchie (le mot n’est pas employé) qui contredit la volonté d’autonomie proclamée.
Quant au chapitre sur les inégalités, je constate une fois de plus que les inégalités sexuées sont mal traitées. Alors que les inégalités socio-économiques sont privilégiées (vu le lien statistiquement vérifié avec l’échec scolaire), les inégalités sexuées sont réduites à un paragraphe dont le contenu peut se résumer comme suit : l’inégalité de genre est moins forte en Belgique que dans les autres pays de l’OCDE et ce sont les garçons qui en souffrent le plus ce qui montre une fois de plus l’incompétence du groupe central (ignorance des mécanismes subtils de ségrégation et de discrimination et non respect des engagements au Gender mainstreaming pris dans la dernière Déclaration de politique communautaire).
Voilà une première réaction. J’ai l’intention de creuser la semaine prochaine.
La lecture dans les grandes lignes du pacte me laisse avec des constats et des questions, qu'un groupement comme Tout Autre Chose pourra, je l'espère, véhiculer.
Hormis le doute que suscite en moi l'idée d'une école dirigée par une GRH, froide et purement technique, capable déjà de faire d'énormes dégâts dans le privé, il y a aussi :
- Où ce modèle est-il déjà appliqué ? Quels en sont les effets positifs et négatifs ? Le fonctionnement de notre pays est-il semblable au point qu'on puisse être assez sûrs des conséquences à court et long terme ?
- Débuter les cours un peu plus tard ne changera rien pour les enfants qui vont à l'étude du matin... Ni de manière générale pour ceux dont l'heure d'arrivée ne sera pas modifiée.
- Quels moyens seront mis en oeuvre en matière d'étude active, de manière à garantir que chaque élève - y compris ceux qui sont atteints de troubles de l'apprentissage - puisse y faire de manière correcte et utile tout ce qu'on attend qu'il y fasse ?
- Les transports en commun adapteront-ils leurs horaires en fonction ?
- Elargira-t-on les routes pour gérer la circulation déjà problématique dans cette période de la journée ?
- Comment encore avoir des activités extrascolaires ?
- Responsabiliser et engager les parents dans l'école, alors qu'elle les éloignera plus longuement de leurs enfants ?...
- Quelle vie pour les enfants d'enseignants ? L'enseignant terminant à 17h, rengeant sa classe ensuite, faisant éventuellement de la route jusqu'à l'école pour récupérer sa progéniture, puis pour rentrer chez soi... Quels horaires pour ces enfants et ces parents ?! Où est l'école de l'égalité là-dedans ?
- Quelle capacité de pensée et d'ouverture d'esprit développera une école qui enlève à ce point aux enfants la possibilité d'être en contact avec autre chose, avec le monde extérieur à l'école ?
- Est-il possible d'obtenir une projection de la vie d'une famille-type suite à la mise en application de ce projet, telle qu'elle est imaginée par ses concepteurs ?
Je suis d'accord avec Nadine quand elle dit que le texte intermédiaire du Pacte
D'accord aussi avec Stephan quand il perçoit dans ce texte "l'idée d'une école dirigée par une GRH, froide et purement technique". Je suis par contre moins convaincu par l'insistance sur une des mesures mises en avant par les médias : la prrolongation de la journée scolaire. Si les questions qu'il pose méritent d'être posées, je crois qu'il ne faut pas perdre de vue qu'il ne s'agit là que d'une mesure parmi un (trop?) grand nombre d'autres. Et que cela n'aurait pas pour conséquence (du moins, il me semble) de supprimer l'extrascolaire mais de l'intégrer davantage dans le temps d'école (ce qui ne signifie pas nécessairement, selon moi, dans les murs de l'école). Cette intégration aurait pour avantage que la très grande différenciation sociale, qui se manifeste actuellement dans ces plages hors école, soit moins marquée.
A nouveau, l'intérêt d'une telle mesure dépend de la philosophie d'ensemble du Pacte. Et là, on est en droit d'avoir quelques craintes...
Je suis intervenu le 21 mai dans un colloque que le PS organisait dans le cadre de son "chantier des idées". Il y avait 6 intervenants : Frédéric Delcor (secrétaire général du de Communauté française, autrement dit le plus haut fonctionnaire de la FWB), Etienne Denoël (directeur chez Mc Kinsey Belgique), Pascal Chardonne (CGSP-enseignement), Dominique Lafontaine (professeur à l'ULg), Nicolas Roland (chercheur ULB) et moi-même. Après un court débat, la conclusion revenait à Elio Di Rupo.
Mon intervention visait à situer le processus de Pacte dans le paysage des discours de changement de l'école. Mon analyse était critique et décrivait notamment le Pacte comme doublement conservateur (sur le plan de la forme scolaire et sur celui du modèle de société). Vous pouvez lire ici le texte de mon intervention.
Je ne m'attendais évidemment pas à ce que mon analyse soit plébiscitée. Mais ce que j'ai entendu a dépassé ce que j'escomptais. Les trois premiers intervenants (ce fit moins le cas de la quatrième et pas le cas du cinquième, dont ce n'était pas l'objet) ont soutenu la démarche du Pacte. Plus frappant encore de constater combien le responsable de Mc Kinsey se sentait chez lui au PS, et donc combien le PS (ou du moins ses instances dirigeantes) rentraient dans une logique de management et, comme l'a proclamé Frédéric Delcor, dans une logique "d'école du mérite" (il voulait dire par là une école où la réussite serait moins liée à l'origine sociale qu'à l'effort mais manifestait par la même occasion combien les logiques de classement, de compétition et de d'indivualisme, dont nous disons vouloir nous détourner dans notre Manifeste, allaient rester dominantes).
C'est dans cette même direction que s'est inscrit le président du PS lors de sa conclusion. Et les quelques phrases qu'il a exprimées à propos de mon intervention ont montré qu'il ne goûtait qu'à moitié mon analyse critique. Il s'est même permis ce qu'il a qualifié de "provocation" en disant que les personnes payées par les pouvoirs publics devraient aussi proposer des solutions (et pas seulement déconstruire). Sous-entendu : elles devraient davantage ressembler davantage à Etienne Denoël et Mc Kinsy qui, eux, proposent des dispositifs concrets destinés à doper la collaboration entre enseignants. Un Etienne Denoël qui a mis au défi le PS d'adopter son dispositif dans 8 des 10 plus gros PO de la Communauté (puisque le PS fait partie de ces 8 majorités). Un défi qu'a accepté de relever Elio di Rupo...
De quelle manière et avec quels moyens l'école organisera-t-elle des activités hors école lors des heures extra ? Le nombre d'activités possibles et de lieux où on les pratique rend la chose improbable. Ce qu'en a compris ma compagne - enseignante, c'est qu'il incomberait aux enseignants de se charger de ces activités.
De plus, elles ne seraient accordées qu'aux élèves "méritants", pour les autres ce serait la remédiation. Info ou intox ?...
Ce serait intéressant que quelqu'un d'entre nous enquête un peu plus sur les liens entre Pacte et fonds privés, et particulièrement entre Pacte et Mc Kinsey. Il apparaît en effet clairement qu'en plus d'être un acteur majeur du Pacte, McKinsey participe à son financement et a mobilisé des fondations privées pour soutenir sa propre intervention auprès de la Communauté, afin que celle-ci ne doive à peu près rien débourser pour "bénéficier" de ses services - évidemment désintéressés... Il y a des éléments d'informations dans la réponse de la Ministre à Barbara Trachte. Mais c'est encore un rien nébuleux. Et suffisamment interpellant pour qu'on gratte davantage.
Je vous informe que Rudy Demotte s'est exprimé qq minutes à propos du "Pacte d'excellence" à l'émission "L'invité" de Matin Première à la RTBF radio ce matin vers 7h45. C'est +/- à partir de la 8ème minute de l'interview, podcast disponible à http://www.rtbf.be/lapremiere/podcast?by=emission&firstletter=M&id=60#result ou à http://www.rtbf.be/lapremiere/emissions_matin-premiere/nos-rubriques/l-acteur-en-direct/article_l-acteur-en-direct-rudy-demotte?id=9320652&programId=60
Merci André. mais ton lien ne fonctionnait pas Le lien est ici. Pas facile, de fait, de défendre des idées qui vont (vraiment un tout petit peu) dans la bonne direction. Et, de mon point de vue, Rudy Demotte ne les défend pas bien, du moins dans ce cas-ci. Car, par exemple, vouloir un tronc commun polytechnique, comme le souhaite l'APED, ce n'est pas intégré du professiionnel et du technique dans le tronc commun, ni vouloir donner une place à l'intelligence de la main. Ce type de défense amoindrit la portée (déjà assez timide) des propositions du groupe central.
Tout cela semble donc biuen mal emmanché...