LES BALISES
Tout Autre Chose est un mouvement qui regroupe des personnes et des associations d’horizons très divers, au sein duquel le débat est valorisé. Nous ne sommes pas d’accord sur tout. Mais toutes et tous, nous partageons dix grands principes qui définissent les valeurs de notre mouvement commun et servent de balises à nos débats, nos luttes et nos innovations.
Toutes et tous, nous voulons une société :
Démocratique. Une société qui n’accorde pas seulement le droit de vote mais donne, dans tous les domaines et à chacun-e, le pouvoir de participer aux débats et d’être entendu-e. Une société dont le cap est davantage fixé par les décisions collectives démocratiquement élaborées que par les décisions unilatérales d’acteurs puissants et par l’addition imprévisible de décisions individuelles.
Back to basics à dans une démocratie, le système de gestion est censé refléter la volonté du plus grand nombre, voire du peuple dans son ensemble. Les représentants incarnent la volonté de ceux qui les ont mandatés et ont pour mission de maximiser la satisfaction des besoins exprimés.
Sauf erreur peu probable de ma part, TAC prône donc la démocratie au sens large c’est-à-dire tant en son sein que dans le système sociétal qui nous entoure[1].
Cela implique un certain nombre de questions et de sous-questions :
Notre base est-elle représentative de la société dans son ensemble ?
Le souhaitons-nous vraiment ? (ex : présence des extrêmes gauche et/ou droite[2], adeptes de la décroissance et de la croissance, adeptes de la mondialisation ou des microcosmes locaux autonomes, etc.)
Il y a-t-il un « cordon sanitaire » dans TAC. Si oui, comment est-il défini ? Sur le critère démocratique (uniquement) et/ou sur des bases socio-économiques ?
« Une société qui (…) donne, dans tous les domaines et à chacun-e, le pouvoir de participer aux débats et d’être entendu-e. »
So what ? Cordon or not cordon ? L’avocat du diable demanderait pourquoi l’extrême gauche et pas l’extrême droite[3] ?
Cette première balise résiste-t-elle déjà à l’épreuve du politiquement désirable/correct ?
Faut-il raboter, élaguer ou au contraire élargir le rayon et mener un travail de fond pour contribuer éradiquer ce que la société charrie de pire ?
Les extrêmes, particulièrement en démocratie, sont nuisibles en tout. En statistique aussi, on élimine les valeurs aberrantes.
Encore une fois, la question est plus théorique que pratique mais pour autant on sait que les racistes sont des gens qui se trompent de colère, pour autant il y a moyen de se tromper de plein de colères différentes …
Certaines colères sont-elles plus légitimes que d’autres ? Plus aveuglantes ?
Qui sommes-nous pour classer les colères citoyennes par ordre de légitimité ?
Certaines colères méritent-elles plus que d’autre qu’on en débatte ? Ou qu’on les « calme » à grand renfort d’éducation, de vulgarisation ?
Solidaire. Une société où la juste répartition des richesses est la première des solidarités. Où les protections complémentaires contre les aléas de la vie sont fondées sur des droits sociaux plutôt que sur l’assistance ou la charité. Une société dont le bien-être solidaire ne se construit pas au détriment de celles et ceux qui vivent ailleurs ou vivront demain.
Juste répartition des richesses : c’est-à-dire ?
Une heure de travail de médecin et d’avocat doivent-elles valoir strictement la même chose qu’une heure de travail d’une puéricultrice ou d’un flûtiste ?
Un porteur de projet qui crée une ASBL ou une entreprise sociale et qui trouve une solution miracle pour répondre à un besoin de masse doit-il gagner moins que quelqu’un qui crée une société anonyme et cartonne avec un produit au même prix, avec un même taux de pénétration et apportant une utilité marginale similaire ?
Les critères actuellement en vigueur dans l’économie sociale sont-ils pertinents pour qualifier cette justesse ??? Le revenu max du capital dans une SFS est de 6% si je me souviens bien. En 2000 c’était risible, en 2016 c’est limite inespéré. Et lorsque dans les années 2000, Crédal limitait son taux d’intérêt à 5% par idéologie redistributrice,
De même, le rapport de salaire communément accepté est de 1 à 2 entre la base et le top d’une entreprise dans l’économie sociale. Est-ce bien réaliste au regard des risques entrepreneuriaux (qui croissent souvent proportionnellement au risque social[4], contextuel ou conjoncturel).
Tout le monde se réjouit de tous les filets sociaux que notre société a pu mettre en place et financer. Mais la solidarité constitue-t-elle l’idéal selon lequel tout le monde peut subsister ou le monde dans lequel tout le monde peut réussir et contribuer au bien commun ?
La solidarité implique-t-elle la confiscation ne fusse que partielle d’une fraction plus grande de la rémunération chez ceux qui réussissent pour permettre à tous de subsister ? Si non, pourquoi pas ? Et si oui, pourquoi ?
Faut-il parler de droits ou de devoirs ? ou des deux ? Est-ce que ce sont les mêmes personnes qui ont les droits ET les devoirs ? Dans une même proportion ?
Si tous les contributeurs nets à notre système de solidarité remplissent en réalité leur devoir, faut-il leur imposer au risque qu’il se débinent ou leur en laisser le choix au moment où ils (ou quiconque) le jugera opportun[5] ?
Je n’ai rien contre l’idée des « droits sociaux » mais sont-ils appliqués à tous de la bonne manière aux bons moments ? On peut être riche et fauché comme on peut être pauvre et assis dans le beurre. On peut être riche hier, pauvre aujourd’hui et ne pas savoir ce que l’on sera demain…
Coopérative. Une société où la coopération prévaut sur la compétition, l’égoïsme et la monétarisation des échanges. Une société qui mise sur l’intelligence collective et l’altruisme, et qui refuse l’accaparement par quelques-uns des bénéfices tirés d’efforts collectifs.
C’est pour moi une des balises les plus importantes.
Que ce soit sur les marchés ou dans les régimes politiques, la compétition est /apparaît comme « naturelle ». Seul la société dite « civile » ou le tiers secteur peut développer une vraie dynamique coopérative.
TAC doit à mon sens incarner la « coopération suprême », au moins en attitude. C’est un des piliers sur lequel peut reposer une vraie différenciation. Dans TAC, ce n’est pas choisir entre l’un ou l’autre, entre le privé et le public ou entre l’individuel et le collectif.
La devise tac pourrait être 1+1=4. Celui qui parle comme s’il était en haut à gauche et celui qui se considère en bas à droite suffisent pour comprendre ceux qui sont en bas à droite où en haut à gauche dans une matrice donnée. Mais encore faut-il accepter d’écouter, de comprendre et de respecter chacun…
Si nous devions un jour choisir deux porte-parole dans TAC, préférerions-nous Pol et Mick à Dupond et Dupont ?
Ecologique. Une société qui respecte la planète, les autres formes de vie et les équilibres écologiques, s’engage dans la transition écologique et prend au sérieux les changements climatiques. Une société tournant le dos au productivisme qui épuise les ressources naturelles et à la marchandisation qui privatise les biens publics.
Est-il plus réaliste de s’attaquer aux modes de production ou aux modes de consommation ? Faut-il agir pour modifier l’offre ou la demande ?
La privatisation est-elle forcément synonyme d’irresponsabilité[6] ?
Et si la forêt amazonienne était gérée (et protégée !) par une entreprise privée socialement responsable plutôt que par une administration impuissante ou corruptible et vulnérable aux lobbys ?
La gestion publique est-elle par nature le garant d’une certaine pertinence ou de responsabilité, voire même d’une primauté des intérêts collectifs sur les intérêts individuels ?
Faut-il sacrifier des droits et libertés individuels ou insister sur des responsabilités et des devoirs collectifs ?
Aujourd’hui, tout ou presque se sait. Qu’est-ce qui est le plus efficace ? Une directive européenne sur les émissions de gaz ou une norme OMS pour les radiations non-ionisantes ou un bon scandale genre VW ou Monsanto pour conscientiser les masses ?
Juste. Une société qui recherche l’équilibre entre les droits individuels et collectifs, et qui vise à étendre les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Une société qui met en avant la justice sociale et fiscale. Où le pouvoir judiciaire est libre, dispose de moyens et est accessible à tous.
Juste ! La clé est là. C’est sur cette balise que TAC doit fonder son action en priorité.
1° définir, inventorier et communiquer ce que chacun trouve juste. Mais… Juste comme « Justice » ou juste comme « Justesse » ???
La notion de justice même est elle aussi subjective, en constante évolution et fluctuante par essence.
2°trouver le moyen de mettre cette justice/justesse en place.
Egalitaire. Une société qui n’égalise pas seulement les chances d’accès aux places prestigieuses mais réduit les différences de reconnaissance, de rémunération et de pouvoir entre les personnes occupant des positions distinctes.
Ça, pour moi, c’est un peu la « balise pipeau ». Si nous arrivons déjà à rendre notre société juste, coopérative, solidaire et démocratique, on aura atteint un niveau satisfaisant d’égalité. Mais l’égalité absolue, c’est et ça restera un mirage.
George Orwell disait déjà dans Animal Farm : « All animals are equals » en début de roman. Et il terminait par « but some are more equal than others ! ».
C’est un leurre… limite un piège. Nous n’avons PAS tous les mêmes chances. Et la société peut être aussi égalitaire que l’on veut, c’est un vœu pieux. Nier à ce point les évidences, c’est se voiler la face.
Et le bon sens populaire regorge d’expressions qu’il vaut mieux ne pas sortir de leur contexte, voire ne pas sortir du tout mais juste pour le plaisir d’être provocateur : « on ne fera jamais un cheval de course d’un âne », « il y a bel et bien des oiseaux pour le chat » ou « il y aura toujours les poires et ceux qui les mangent ».
De grâce, restons humbles. On peut influer sur les comportements au sein de la société mais on ne peut pas modifier la nature humaine. On peut faire tomber les barrières et le plafond de verre mais on n’apprendra jamais aux poissons à grimper aux arbres !!
Emancipatrice. Une société qui ne se satisfait pas de la liberté d’expression et de choix, mais veut donner à chacun-e une réelle liberté. Celle de pouvoir déterminer son projet de vie, de lutter contre les dominations, de résister aux aliénations et addictions et de ne pas se soumettre à ceux qui tentent de conditionner les choix individuels et collectifs.
Ce qui revient à prôner une certaine forme d’individualisme, voire de désobéissance civile.
Créative. Une société qui soutient la créativité sous toutes ses formes et encourage ses membres à prendre des initiatives. Non pas seulement pour « trouver des solutions » mais de manière plus fondamentale pour sans cesse questionner les évidences, renouveler le regard critique sur le monde, ouvrir de nouvelles perspectives et initier de nouveaux débats face à une pensée dominante qui, toujours, veut laisser croire que nombre de débats ont déjà été tranchés et qu’il n’y a pas d’alternatives.
La créativité et l’innovation sont sources de progrès. Et l’innovation peut être tant technologique que sociale. Encore faut-il créer et non se contenter de penser à créer ou attendre que d’autres le fassent.
Dans les écoles de Commerce, on apprend que la plupart des nouveaux produits qui deviennent rapidement des succès de masse ou de niche ont été créés, développés ou inspirés par des consommateurs qui ne trouvaient pas satisfaction sur le marché au moment t-1.
Et s’il est vrai que la créativité est trop souvent au service des intérêts individuels (j’ai trouvé un filon, je l’exploite), TAC a une belle carte à jouer aussi en tant qu’opérateur économique qui serait le catalyseur de l’intelligence collective et de l’innovation au sens large.
La dynamique productive, elle (aussi), est émancipatrice.
Travailler à une tout autre production, c’est induire une tout autre consommation. Steve Jobs prétend qu’un consommateur ne sait pas ce qu’il veut tant qu’il ne l’a pas eu entre les mains et Henri Ford ne disait pas autre chose presque 100 ans avant lui.
On a le droit de détester Ford et le Fordisme ou Apple mais on ne peut pas nier qu’il y a des externalités positives à quasi toutes les productions. La créativité salvatrice, c’est peut être apprendre à partir de ces externalités pour construire de nouveaux « modèles d’affaires[7] ». Selon les principes de l’économie systémique, on analyse l’opportunité d’entreprendre au regard de TOUS les besoins qui sont à satisfaire, tant individuels que collectifs ou sociétaux.
Nous devons au sein de TAC être un accélérateur d’une nouvelle pensée entrepreneuriale.
Mais comme je le mentionnais plus haut, penser n’est pas suffisant. Je n’ai pas la prétention de poser un jugement sur le « bilan » de TAC mais avec le peu de lectures que je me suis autorisées jusqu’ici, j’ai un peu l’impression que seul le groupe de travail pour une Tout autre Ecole propose des alternatives concrètes qui vont en ce sens.
La créativité que nous encourageons pourrait être celle qui permet à la fois de d’inventer des alternatives ET les moyens de les mettre en place et d’en mesurer la pertinence.
Apaisée. Une société où ne règne pas la peur de la diversité, où les « autres différents » ne sont pas stigmatisés, discriminés ou perçus comme un risque. Une société où la diversité est au contraire vécue comme un ferment de créativité, une occasion de réflexivité, un antidote au dogmatisme et une opportunité d’enrichissement.
L’apaisement est une conséquence naturelle de la satisfaction des besoins et des aspirations de chacun.
Réjouissante. Une société où nous puissions nous réjouir de la richesse des liens sociaux et du sens profond que nous parvenons à donner à ce que nous vivons. Une société où le bonheur ne se cherche plus dans une consommation manipulée.
Last but not least, cette balise est éminemment philosophique. La réjouissance est un état tellement subjectif ! Mais l’aspect «richesse des liens sociaux » semble bel et bien être un pilier.
Je perçois cette balise comme étant une volonté de mettre en place les conditions nécessaires mais non suffisantes à la création ou à la restauration des liens sociaux.
[1] Les déclinaisons sont multiples, restons « mainstream » pour éviter de sombrer dans l’idéalisme béat
[2] Merci de ne pas considérer cette question comme l’expression de la volonté de son auteur ;-)
[3] Idem NBP 1.
[4] Avec ici un double sens : un entrepreneur qui se plante et perd son entreprise vs un travailleur qui perd son boulot par la même occasion, lui aussi, son gagne-pain. L’autre sens étant que notre système de solidarité à l’échelle de l’état repose sur la redistribution de prélèvements sociaux ou fiscaux.
[5] La notion d’Etat providence à l’Européenne vs le « payback to society » à l’anglo-saxonne
[6] Si on prend la mesure y a 40 ans, ok. Quid aujourd’hui mais surtout quid de demain ?
[7] L’entrepreneuriat social ou socialement responsable peut devenir la norme et on peut attendre beaucoup de l’économie systémique ou de la valorisation des actifs immatériels dans les agrégats micro et macroéconomiques.
Tous les signataires de l'appel ont été engagés à lire les balises avant de signer, et,si celles-ci sont en effet un peu vagues et portant à interprétation, elles représentent quand même globalement un état d'esprit qui a suscité l'enthousiasme. On peut donc imaginer que les signataires ont attendu de TAC des propositions de participations à des événements suscitant le changement dans leur sens(celui des balises). Étant donné que les associations signataires en organisent,et qu'elles ont souvent proposé à leurs adherents de signer l'appel,ce serait déjà un formidable résultat pour le Mouvement de se faire croiser,parler,découvrir,connaître tous ces gens éparpillés qui souhaitent plus ou moins la même chose:une tout autre société que celle dans laquelle nous vivons.