Salut à vous!
Je suis à Barcelone depuis une semaine et entre des visites de centres sociaux, j'ai rencontré hier 3 membres de Barcelona en Comù, la liste soutenue par Podemos qui a pris le pouvoir l'an passé. J'ai écrit un petit compte rendu de notre rencontre qui était très riche. Sur le fond mais aussi par les ressemblances avec Tout Autre Chose. Le voici
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Barcelona en Comù, c'est la liste crée à Barcelone par les mouvements sociaux et soutenus par Podemos aux dernières élections municipales. Ils dirigent la ville et c'est une des premières expériences de politique alternative depuis longtemps. et pas n'importe où car c'est 2 millions d'habitants!
C'est deux ans avant les élections municipales 2015 que les mouvements sociaux (anti-explulsion du logement (PAH), justice environnementale, lutte contre la pauvreté,..) se sont dit qu'il fallait un changement politique. Car les politiciens du PSOE (leur PS) ou du PP (leur MR) ne se préoccupaient plus de la majorité de la population mais surtout des riches. Ils ont décidé de se rassembler en un parti. Ils refusaient d'emblée d'être un parti à vocation minoritaire pendant 20 ans, leur but était clair : gagner les élections rapidement et avoir du pouvoir d'agir. Ils ont donc lancé leur bateau Barcelona en Comù et de manière un peu inespérée ils ont gagné sur base d'un programme rédigé de manière participative par les citoyens.
D'abord tout n'est pas été facile, il a fallu apprendre à gérer une administration, puis la ville étaient déjà engagée dans des projets faits par les prédécesseurs, et ils n'avaient pas la majorité absolue. Les changements commencent seulement après un an de gouvernement.
Les gros dossiers sont la construction d'écoles, la rénovation du métro, la lutte contre le tourisme qui bouffe la ville, aussi contre l'avalanche de hipster dans les quartiers qui fait monter les prix des loyers. Ils font des mesures pour la relocalisation de l'emploi, le soutien à l'économie sociale et solidaire, la lutte contre la pauvreté, l'opposition au TTIP, et surtout.... la réappropriation de la politique par les citoyens. Ils ont créé un genre de ministère de la participation et font pas mal de petites expériences de participation ("design Barcelona") par internet ou par quartier pour recueillir l'avis de la population et mettre ça dans leur plan pour la ville. Ils développement aussi des indicateurs alternatifs au PIB. Le plus gros changement disent ils, c'est que ce ne sont plus les élites qui dirigent la ville comme ça a toujours été le cas, mais des gens ordinaires. Ils se mettent du coup souvent les 1% à dos. Par exemple quand ils ont réduit la taille de certaines routes pour faire de la place aux piétons et vélos, ou quand ils essayaient de changer la loi qui permet aux banques d'expulser les gens de leur maison (8 expulsions par semaines). Un autre de leur projet est de rendre l'eau à nouveau publique (elle a été privatisée sous le précédent gouvernement). La limite des compétences municipales restreint bien sur leur action.
Ce qui est intéressant aussi, plus que leurs projets, c'est les leçons qu'on peut tirer de cette expérience pour nos luttes en Belgique.
- Barcelona en Comù entretient un fonctionnement "horizontal" (le moins de hiérarchie possible). Avec une sorte d'AG et 18 comités locaux qui décident beaucoup. Néanmoins comme dans beaucoup d'organisation horizontales de masse (qui marchent vraiment, pas juste dans les esprits), le système est en fait mixte. La direction exécutive de 8 personnes a dans les fait du pouvoir, et c'est un jeu constant entre le pouvoir de la direction et le pouvoir de la base qui s'opposent et s'équilibrent. C'est cette co-existence d'une verticalité et d'une horizontalité qui incarne leur souhait d'une démocratie directe. Un peu la même tension qu'on retrouve dans la démocratie directe de la CLASSE (principale association étudiante au Québec) et dans une certaine mesure dans Tout Autre Chose. Mais donc pas d'illusion sur une démocratie "pure et parfaite" mais toujours en questionnement et en renouvellement.
- Contrairement aux mouvement sociaux qui ont accédé au pouvoir dans les années 80 (et dans une certaine mesure à Syriza), ils n'ont pas arrêté les mobilisations de rue ou déserté le champ social une fois au pouvoir. Ni tué les mouvements sociaux. Ils ont deux ailes : une au gouvernement, et une "dans la rue". Et ils ont réparti leurs membres dans les deux. Ça crée parfois des tensions et une certaine schizophrénie car l'aile "rue" met la pression sur l'autre, mais c'est pour le mieux parce que sinon ils se déconnecteraient des citoyens et aussi ils n'auraient plus de pression du monde associatif dans les rapports de force avec les élites, seuls les lobbys feraient pression sur eux.
- La critique interne est très forte. Eux-même sont super critiques de leur bilan
- Barcelona en Comu vient majoritairement des mouvements sociaux. Mais de nombreux militants écologistes ne les ont pas rejoint. Du coup l'action de la municipalité est assez faibles sur les questions environnementales. Ils sont idéologiquement pour mais manquent d'expertise et de gens. C'est une grave erreur des écologistes je trouve, car des changements écologiques à large échelle ne seront probablement décidés qu'aux moments où ceux qui luttent pour l'environnement feront une alliance stratégique et idéologique avec ceux qui luttent pour l'égalité et l'amélioration des conditions de vie (et qui sont beaucoup plus puissants). Par exemple Ada Colau qui est issue du mouvement anti-expulsion des maisons et d'autres allaient aux réunions du groupe citoyen "écologie" et prenaient plein de notes, ce qui a diffusé l'écologie dans le mouvement.
- il n'y a pas de positionnement gauche-droite, même si on sent des inspirations (Gramsci par ex). Le mot d'ordre est "nous voulons une révolution démocratique" et ils insistent beaucoup sur le fait que ce sont des gens comme tout le monde qui se réapproprient la politique, et non des élites comme avant.
- C'est le vide politique plus les politiques d'austérité qui a fait qu'un parti sorti de la société civile est devenu en deux ans le premier parti (11 sièges sur 41, victoire dans 54 quariers sur 73). Ils n'ont toutefois pas la majorité (6 autres partis sont là) et ont du faire des alliances avec le centre-gauche et des compromis. Pas d'illusion sur tout changer en très peu de temps, et il y a une posture réformiste assumée.
- Enfin une de leurs difficultés parmi d'autres est qu'il n'y a pas de politique alternative au néo-libéralisme qui ait été bien pensée. D'une part car les départements d'économie sont bouchés et refusent de penser une autre manière de faire. D'autre part car ceux qui parlent des alternatives ont tendance à le faire "hors sol", à avoir des réflexions très théoriques, mais d'aucune applicabilité pratique. par exemple concernant l'emploi, il y a mille critiques de l'emploi actuel, mille articles vantant un travail désaliéné ou une réduction du temps de travail, etc., mais quasi rien disant comment faire pour l'atteindre et que ça marche dans le monde réel. Et c'est pareil pour bien d'autres sujets (la relocalisation de l'économie, le commerce international, le système financier/bancaire, la transformation des multinationales en "autre chose"...)
Voila voila! J'arrête là mon compte rendu. J'espère de tout cœur qu'ils vont réussi malgré toute la pression et les embûches.
Oui, c'est une expérience tout à fait intéressante, bien que très disparate voire contradictoire, comme tu le soulignes toi-même amplement dans ton billet, Olivier.
Ce qui m'intéresserait aussi, c'est de savoir ce qu'ils pensent du résultat des dernières élections législatives, et de l'échec relatif de Podemos à ces élections...